Les substantifs

La morphologie des substantifs varie en genre (féminin / masculin), en nombre (singulier / pluriel) et en cas (sujet / régime).
La déclinaison des substantifs repose essentiellement sur la présence ou l'absence de l'unique morphème désinentiel, le -s.

Remarques : 
• les noms neutres latins sont devenus masculins ou féminins dès l'époque impériale.
• La quasi-totalité des substantifs a conservé son genre de l'AF au FM. 
Exceptions : amor, art, doute, evangile, mençonge, honor, poison, rien sont passés du féminin au masculin ; au contraire afaire, dent, ombre, parenté étaient masculins en AF ; certains mots comme comté, eage, espace, essample, image, jor ou ordre ont longtemps oscillé entre masculin et féminin.
La flexion du cas régime est identique à la morphologie des substantifs actuelle.


Les substantifs masculins

Les substantifs masculins sont de quatre types :
• type 1 : masculins à base unique.
• type 2 : masculins à base unique en -re.
• type 3 : masculins à deux bases.
• type 4 : masculins indéclinables.
Type 1 : masculins à base unique

singulier     
pluriel     



CS
base s
base + ø

chevaliers
chevalier
CR
base + ø
base + s

chevalier
chevaliers

Cette déclinaison est la plus courante.
• Elle se caractérise par la présence du morphème désinentiel -s au CSS.

Elle rassemble un grand nombre de substantifs, issus :
- des masculins latins de la 2° déclinaison (type dominus, domini, majoritaire en latin).
- de neutres latins de la 2° déclinaison (*sacramentus > seremenz / serement).
- de masculins latins de la 3° déclinaison (arcus > ars / arc).
- de mots latins issus d'emprunts (frq *halsberg > *halsbergus > hauberz / haubert).
- d'adjectifs latins substantivés (adj. diurnus > subst. jorz / jor).
- d'une dérivation (v. appeler > subst. appiaus / appel).
- d'emprunts (germ. sturm > estors / estor).

Remarque : bien que les substantifs de ce type n'aient qu'une seule base, l'ajout du morphème -s peut altérer la consonne finale : chevaus (ou chevax) / cheval, chiés / chief, cos / cop, clers / clerc, gas / gap, jorz / jor(n), vers / verm...

Type 2 : masculins à base unique en -re

singulier     
pluriel     



CS
base + ø
base + ø 

pere
pere
CR
base + ø
base + s

pere
peres

• Cette déclinaison est spécifique aux masculins se terminant par -re.
• Elle se caractérise par l'absence de flexion au CS. 

Peu nombreux, les substantifs masculins en -re viennent des noms latins en -er (pater > pere, frater > frere, liber > livre, magister > maistre, vesper > vespre, venter > ventre) ou en -or (arbor > arbre, marmor > marbre).
De rares noms sans finale -re, issus d'emprunts, se sont alignés sur ce type, comme ermite (< gr. latinisé eremita), prophete (< gr. latinisé propheta) ou vavassor (< celt. latinisé vassus vassorum).

Remarque : par analogie avec le type 1, les masculins de type 2 peuvent se rencontrer avec un -s au CSS.

Type 3 : masculins à deux bases

singulier     
pluriel     



CS
base 1 + ø
base 2 + ø 

sire
seignor
CR
base 2 + ø
base 2 + s

seignor
seignors

• Cette déclinaison concerne seulement une cinquantaine de substantifs.
• Elle se caractérise par l'existence d'une base propre au CSS.

Les substantifs de type 3 viennent majoritairement d'imparisyllabiques de la 3° déclinaison latine.
Regroupant peu de substantifs, cette déclinaison est pourtant courante car elle concerne :
- des noms désignant des personnes : ber / baron, bric / bricon, compaing / compagnon, cuens / comte, enfes / enfant, fel / felon, gars / garçon, glot / gloton, hom / home, lere / laron, niés / neveu, sire / seignor...
- les noms d'agents en -(i)ere / eor ou -re / -or : chantere / chanteor, emperere / empereor, mentere / menteor, pastre / pastor, pechiere / pecheor, sauvere / sauveor, traïtre / traïtor, venere / veneor...
- des noms propres : Bueves / Bovon, Charles / Charlon, Hues / Huon, Hugues / Hugon, Samses / Samson...

Remarques :
• Par analogie avec le type 1, les masculins de type 3 peuvent se rencontrer avec un -s au CSS.
• Bien souvent, le FM a conservé les deux formes des substantifs, en les investissant de sens différents : chantre / chanteur, copain / compagnon, gars / garçon, pâtre / pasteur...

Type 4 : masculins indéclinables

Les substantifs dont la base se termine par -s (ou -z, qui note l'affriquée [ts]) ne peuvent se décliner : bois, cors, mois, païs, palais, sens, tens...

Remarque : ces substantifs sont restés invariables en FM : bois, corps, mois, pays, palais, sens, temps...


Les substantifs féminins

Les substantifs féminins sont de quatre types :
• type 1 : féminins à base unique en -e.
• type 2 : féminins à base unique sans -e.
• type 3 : féminins à deux bases.
• type 4 : féminins indéclinables.
Très proches de la morphologie moderne, toutes les déclinaisons féminines présentent un -s au pluriel.

Type 1 : féminins à base unique en -e

singulier     
pluriel     



CS
base + ø
base + s

mere
meres
CR
base + ø
base + s

mere
meres

• Cette déclinaison est la plus courante, elle concerne tous les féminins en -e.
• Elle se caractérise par une simple opposition entre singulier et pluriel, correspondant à la morphologie moderne des substantifs.

Les substantifs de type 1 ont tous un étymon en -a (rosa > rose) ou en -er (mater > mere) ; il sont issus :
- des féminins latins de la 1° déclinaison (type rosa / rosae, majoritaire en latin).
- de mots latins refaits sur la 1° déclinaison (mentio, onis > *mentionica > mençonge), notamment ceux de la 5° déclinaison, disparue dès la période impériale (facies > *facia > face).
- de certains pluriels neutres latins : arma > arme, gaudia > joie, gesta > geste, mirabilia > merveille...
- d'adjectifs ou de participes présents latins substantivés (adj. fortis > subst. fortia > force, v. mittere > p.présent missa > messe).
- d'emprunts latinisés (frq. *haunitha > *haunita > honte).

Type 2 : féminins à une base sans -e

singulier     
pluriel     



CS
base + s
base + s

flors
flors
CR
base + ø
base + s

flor
flors
• Cette déclinaison concerne tous les féminins à terminaison masculine.
• Comme la 1° déclinaison masculine, elle se caractérise par la présence du morphème désinentiel -s au CSS.

Les substantifs de type 2 viennent majoritairement de la 3° déclinaison latine imparisyllabique (flos, floris > flor, gens, gentis > gent) ou parisyllabique (navis, navis > nef, caro, carnis > char).
Certains mots de la 5° déclinaison latine se sont alignés sur rosa / rosae à l'époque impériale, comme res, rei > rien, fides, fidei > foi ou manus, manus > main.

Remarques :
• Par analogie avec le type 1, les féminins de type 2 peuvent se rencontrer sans -s au CSS.
• Bien que les substantifs de ce type n'aient qu'une seule base, l'ajout du morphème -s peut altérer la consonne finale ; toutefois la principale altération est purement graphique : [ts] est noté -z (corz = cort + s).
• Certains mots se rencontrent avec un -s au CRS, notamment amor envisagé comme une divinité et rien en tournure adverbiale.

Type 3 : féminins à deux bases

singulier     
pluriel     



CS
base 1 + ø
base 2 + s 

suer
serors
CR
base 2 + ø
base 2 + s

seror
serors

• Cette déclinaison ne concerne que suer / seror, ante / antain, none / nonain, pute / putain, taie / taiain et des noms propres de femmes (Berte / Bertain, Morgue / Morgain...), de rivières (Loue / Louain, Orne / Ornain...) ou de villes (Chartres / Chartain...).
• Elle se caractérise par l'existence d'une base propre au CSS.

À part taie / taiain formé tardivement, les substantifs féminins de type 3 viennent d'imparisyllabiques latins pour lesquels un déplacement d'accent à engendré deux formes distinctes.

Remarques :
• Par analogie avec le type 2, les féminins de type 3 peuvent se rencontrer avec un -s au CSS.
• Le FM a conservé les deux formes pour pute / putain, et, pour "soeur", c'est exceptionnellement le CSS qui s'est maintenu plutôt que le CRS.

Type 4 : féminins indéclinables

Les substantifs dont la base se termine par -s (ou -z, qui note l'affriquée [ts]) ne peuvent se décliner : croiz, pais, voiz...

Remarque : ces substantifs sont restés invariables en FM : croix, paix, voix...


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Auteur : O. Lanciaux
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